Les petites cases israéliennes

Un des principaux avantages de l’Alyah, il faut l’avouer, c’est de laisser derrière soi une bonne partie de ses problèmes d’identité. Quel soulagement et quelle joie de poursuivre sur la route de la vie délesté de ce poids sur les épaules. Oui, on peut en Israël être juif et libre de ses pensées, sans avoir à rentrer dans le moule d’une communauté et sans peur panique de couper le fil des ancêtres à chaque nouvelle rencontre.

Mais évidemment, puisqu’être juif ça doit quand même rester compliqué sous peine de perdre de sa saveur, lorsque tu deviens israélien, tu comprends rapidement que vas devoir t’enregistrer dans une petite case: Tu es juif, oui, ça c’est basique, mais quel juif es-tu ? Hiloni? Massorti ? Dati Leumi ? Haridi ? C’est comme ça, ici on aime le dyouk (la précision) et les petits tiroirs. Sans même avoir le temps de comprendre les subtilités du classement, tu vas devoir choisir ton camp. Et attention car ta réponse détermine également pour quel parti politique tu vas voter, grosso modo. Et fixe aussi l’éducation que tu vas donner à tes enfants et le lieu où tu vas habiter, surtout lorsque tu t’éloignes des grandes villes.

Au début c’est amusant, presque émouvant, quel luxe on a ici, sur notre terre, nous les juifs, de nous disperser en catégories et de dépenser tellement d’énergie pour préciser encore et encore notre identité. Et puis c’est humain et pratique de se ranger dans des tiroirs, tout le monde préfère vivre aux côtés de ceux qui lui ressemblent.

Et puis les années passent, et ça commence à coincer aux entournures. Parce qu’évidemment, en Israël, tout est plus compliqué qu’ailleurs. Dans un pays qui gère en équilibriste sa propre identité juive, entre les pionniers laïcs de gauche et la terre qui se trouve (ma laassot) à sa place biblique, te définir comme citoyen n’est pas si simple et positionner ton pion sur l’échiquier politique prend des dimensions carrément…spirituelles.

Et si on relâchait un peu la pression? Hiloni  ou dati. Smallani ou yemani. Personnellement je me sens à l’étroit dans les petits tiroirs: Je suis tout à la fois, je suis une mutante, je suis ola, je suis française et idéaliste de surcroît. Ma liberté je l’ai gagnée avec l’alyah et je voudrais la conserver… Alors je me mets à rêver.

Je rêve que les frontières entre les différentes franges du peuple s’estompent, deviennent poreuses, et qu’un public mixte, hiloni et religieux, de droite et de gauche, se rassemble autour d’un même projet et surtout d’un même grand leader (qu’on attend patiemment)

Je rêve de vivre dans un endroit où la haine exprimée de l”autre juif’ serait considérée comme un vrai problème de société, pris à bras le corps à la fois par la base, chacun à son niveau, et aussi par les gouvernants, histoire de donner l’exemple. . Parce que si les réseaux sociaux représentent ne serait-ce qu’une partie de la réalité ces derniers jours, on est mal barré.

Dans ma société idéale, à chaque fois que le pays rentrerait en tension, à chaque fois que le Peuple devrait faire face, encore et encore, à un problème éthique impossible, on aurait tous en tête que l”autre juif”, celui qui pense le problème différemment, le traître ou le fasciste, au choix, celui qui te hérisse le poil car tu es à la fois si proche et si loin de lui, bref, que ton frère ennemi n’a pas besoin de ta haine. Et que tu n’as pas besoin de la sienne. Et que même tiens, on pourrait punir ça pénalement si ça dépasse les bornes.

Parce que l’énergie qui part dans ces batailles fraternelles ne va pas ailleurs. Et surtout parce que le véritable danger ne vient pas de cet “autre juif” par lequel tu te sens menacé mais bien de ce ressentiment qui divise le peuple un peu plus à chaque nouvel événement.

Or, où est la vérité juive absolue dans notre société israélienne contemporaine? Dans le respect de la Thora avant tout? Dans la recherche d’une souveraineté sur chaque morceau de terre? Dans les combats pour une société meilleure? Dans les luttes pour conserver une Morale exemplaire dans les situations les plus difficiles? Dans la lutte pour notre survie? Dans la volonté de vivre en paix?

Puisqu’il n’y a pas de réponse unique à ces questions, pourquoi voudrait-on que le feu qui anime chacun soit le même pour tous?

Pourquoi ne pas admettre que peut être chacun pourrait avoir une place légitime dans le peuple? Une place nécessaire même? Le dialogue en plus et le ressentiment en moins?

Le voilà mon rêve: Que notre peuple retrouve, même un peu, le goût et l’intérêt de s’unir. Qu’on oublie un peu de se regarder du haut de nos tiroirs. Qu’avant de se détester, de s’interdire la parole ou de s’excommunier mutuellement, on se souvienne qu’on est tous les parties d’un même peuple vibrant d’énergie, qui a besoin de toutes ses composantes pour continuer à exister avec tellement de force.

(publié ici le 5 juin 2017)

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