Journal de guerre – jour 108

Journée noire. Encore une. La rivière est bouchée par des pavés, on ne l’entend plus.

Le brouillard est descendu. Il est partout.

Et je me sens illégitime à écrire ma tristesse, parce qu’elle est presque confortable. J’y pense, et puis je n’y pense plus. Je peux me le permettre.

Ca me rappelle cette alerte du mois d’octobre, quand dans mon yichouv on pensait que les villages du coin allaient nous monter dessus littéralement, quand on nous a demandé de rentrer dans les abris et d’éteindre les lumières et qu’une voisine a écrit dans le whatsapp de la sécurité qu’une assiette était tombée dans sa cuisine, alors que les chats étaient dehors, cette peur au ventre que le monde s’écroule sur moi, sur nous, recroquevillés dans notre abri sans porte, inutile, cette peur de mourir, qui était si indifférente à la solidarité, une peur solitaire, insensible à l’empathie, comme peut être le deuil des familles vraiment touchées dans leur chair, ces visages tous plus beaux les uns que les autres qui ne sont qu’une photo pour moi mais qui appartiennent vraiment à des mères, à des pères, à des fiancées et à des enfants.

Ma journée est noire mais mon aîné n’a que 14 ans.

Que leurs mémoires soient bénies.

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Journal de guerre – Jour 104

La vie continue presque normalement mais la guerre est partout. 

Ce soir je suis allée m’asseoir dans le petit pub sauvage de mon yichouv.

C’est un endroit un peu magique, installé dans une forêt entre les pins, une sorte de container transformé en petit café, avec des guirlandes de lumière, une cuisine improvisée et un billard.

On s’y sent bien. Il y a de la musique, des bières, beaucoup de fumée et des discussions à n’en plus finir. J’y croise les gens dont je suis proche au quotidien et aussi les autres, avec lesquels un lien se crée de jeudi en jeudi, autour d’une partie de billard ou d’un échange. 

Depuis 3 mois, les discussions ne tournent qu’autour de ça. La guerre.

Beaucoup de mes voisins sont au front. Les papas des copains des enfants, les maris de mes amies. Les réservistes libérés pour le week end viennent le temps d’une soirée se reconnecter avec la communauté et sont accueillis avec des acclamations. On se prend dans les bras. On se tape sur l’épaule.

Quelque chose a changé dans l’espace temps. Le mois d’octobre est là, encore, en janvier. Et tout ce qui se passe depuis. L’avenir incertain. Demain et dans un an. Dans trois mois et dans dix ans. Les discussions sont plus profondes, on parle d’identité et d’appartenance et de survie. 

Ils parlent et j’écoute. 

C’est ma première guerre. 

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Journal de guerre – Jour 94

Ne frappez pas avant d’entrer! Elle a collé cette affiche sur sa porte.

C’est quoi, ça? Je lui demande.

Elle me répond que ces jours ci, le toc toc toc  n’est plus tolérable.

Elle a pris dix ans en trois mois. Elle me confie qu’il y a 18 ans, c’était le père de ses enfants qui y était. Et que c’était différent.

Qu’alors son manque était plein d’amour et d’espoir et la faisait se sentir comme une belle héroïne tragique.

Mais aujourd’hui ce sont ses fils. Et ça la mange de l’intérieur. Elle dépérit.

Je l’écoute et je me dis que ce n’est pas la même guerre pour tous. 

On manque tous d’air, il est resté coincé là bas, il y a trois mois. 

Mais certains ne respirent vraiment presque plus.

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