Journal de guerre – jour 13

Aujourd’hui il a fallu raconter à ma fille de 8 ans que son copain d’école et sa famille “ne donnaient plus de nouvelles” depuis le début de la guerre, qu’ils étaient dans le Sud du pays quand tout a commencé, et que du coup, on s’inquiétait un peu pour eux et que les autorités mettaient tout en oeuvre pour les trouver.

C’est ce que les psy de l’école appellent emet raza, la vérité maigre, le minimum pour les mettre au courant sans les traumatiser.

La vraie vérité c’est qu’ils sont à Gaza.

Evidemment ma fille ne m’a pas laissée m’en tirer à si bon compte. Il est où Naveh? Elle a demandé. Ca veut dire quoi “on ne le trouve pas?”. Il est mort?? Non, non, bien sûr que non, ma chérie. Alors quoi, il est otage? Silence et raclement de gorge, vérité maigre, vérité maigre. Je me reprends: On ne sait pas où il est, où ils sont tous, on les cherche. Elle m’a lancé un regard noir et moi j’ai regretté de lui avoir parlé. Mais tous ses copains sont déjà au courant, est ce qu’il aurait fallu prendre le risque qu’elle l’entende de quelqu’un d’autre que moi?

Voilà ce à quoi on est confronté en ce moment. Faire le pont entre l’horreur et l’innocence. A ça, et à tout le reste.

Le reste c’est la surprise naïve de voir que le monde continue de tourner. Les comptes Instagram que je suivais ces derniers mois, sans lien avec Israël, qui apparaissent de temps en temps dans mon fil inondé d’histoires tragiques (le mot n’est pas assez fort), ces posts qui continuent à parler de choses et d’autres mais pas de ÇA, qui me semblent si incongrus, d’une autre vie, parallèle, épargnée, ignorante du drame qui se joue ici.

Le reste, c’est aussi l’attente, interminable, de cette guerre qui n’a pas encore vraiment commencé, ou qui se terminera peut être très vite, mais comment?

C’est cette incertitude.

Le reste, ce sont les préparatifs de la chambre blindée de la maison où on stocke de la nourriture que les enfants mangent au fur et à mesure. Ils n’ont pas école depuis …..en fait presque depuis le 1er juillet, à l’exception de deux petites semaines en septembre. Souvenirs aigres de la période du Corona, les enfants en zoom avec leur classe pendant qu’on essaye de travailler (sans réussir, la tête n’y est pas).

Le reste, c’est cette période “aharey hah’agim“, après les fêtes, volée, ce moment de l’année où tout est censée vraiment commencer, stoppé net dans sa version 2023. Un aharey hah’agim cauchemardesque.

Le reste c’est également et heureusement l’autre versant de la médaille, la solidarité et l’amour, la générosité et la bienveillance. C’est ma communauté, mon village, qui me sauve. Ces héros du quotidien qui se dévoilent. Les initiatives à en perdre la tête. Le BON et le BIEN, quasiment partout.

Le reste, ce sont aussi ces nombreuses précautions prises en Galilee par peur des intrusions des voisins arabes israéliens qui pourraient nous vouloir du mal. Oui, écrit comme ça c’est fou, mais il vaut mieux être prudent. Et voilà les habitants en majorité à gauche sur l’échiquier politique, qui sont maintenant armés et qui nous protègent à tour de rôle, des patrouilles jour et nuit. Leur inquiétude m’inquiète. On avait dit qu’on vivait en bon voisinage avec les arabes israéliens, non? Oui mais Non. Pas là. Là, on ne sait pas. On ne sait plus. On attend de voir.

Le reste, c’est éviter les déferlements de haine sur les réseaux, et observer le monde occidental, sans savoir cette fois si on sera soutenus, ou encore condamnés, c’est se sentir dans la ligne de mire, là où tout peut se retourner contre nous à chaque instant, au moindre faux pas qui fera bondir ceux qui n’attendent que ça. Pourtant on ne bombarde pas les hôpitaux, en Israël. Non. On ne fait pas ces choses là. Ici, on fait face à des dilemmes sans solutions. A des voisins ennemis qu’on ne souhaite à personne.

On me demande de l’étranger si ça va. On va bien. Quel mensonge. Il y a cette photo qui tourne sur les réseaux: No, your Israeli friends are not ok. Je dirais même: No, your Jewish friends are not ok. J’ai mal pour ceux qui sont loin d’ici et qui se prennent tout de front sans pouvoir contrebalancer avec la force et l’énergie du pays en ce moment.

C’est une période difficile.

Mais on va s’en sortir.

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3 réponses à Journal de guerre – jour 13

  1. Laurence SILBERSTEIN dit :

    Je viens de lire ton écrit
    Parfaite retranscription de la situation, de “l’ambiance” étouffante du bunker, des interrogations pour le voisinage, des angoisses, de la solidarité dans le village.
    et tu as raison chère amie que je ne connais pas, ici nous sommes encore moins protégés en France : 3 policiers à la sortie d’une synagogue ou d’une école juive ou non car tous y compris non juifs sommes dans leur ligne de mire.
    Un prof égorgé dans une école par exemple.
    Évite les réseaux sociaux trop de haine. 2j après le massacre en Israël on m’a traitée de sioniste de merde tueuse d’enfants. Si le temps n’était aux larmes ce jour là j’en aurait presque rit tellement c’est de mauvaise dois. Je n’ai pas répondu j’ai bloqué.
    Mais il y a aussi les messages de soutien de mes amis, de personnes que je connais à peine, de gens que je croyais non concernés et qui arbore sur leur fil FB leur soutien à Israël.c’est une source d’eau fraîche dans nos déserts d’inquiétude
    Courage à toi à ta petite fille à ton village
    A tout Israël
    Que Hachem donne la force à Tsahal de vaincre.
    Et que la Paix règne enfin

  2. Julie Bel dit :

    Génial.

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