Pourim est là. Et une douce folie s’empare du pays tout entier. Tu en vois de toutes les couleurs depuis une semaine et tu sais que ce n’est que le début. Tes enfants sont surexcités, l’employé de la banque te reçoit avec un nez de clown, ton boss se promène dans le bureau en tenue traditionnelle africaine et tes collègues rivalisent d’ingéniosité pour remporter le traditionnel concours de déguisement annuel. Le pays est d’humeur joueuse, prêt à faire la fête.
Et toi tu jongles, comme d’habitude.
Tu décortiques encore plus attentivement que d’habitude les mails de la maîtresse et des ganenot. Tu as compris le principe : A Pourim on bouleverse l’ordre établi. A toi maintenant de te souvenir sans te tromper quel jour est consacré à quoi. A l’école, le jeudi on vient en pyjama, le dimanche sans écusson (la décadence !!), le lundi tout en rouge et le mardi déguisés. Au gan le principe est le même mais les jours différents, évidemment. Tu prends des notes. Dans la foulée tu t’inscris en ligne pour la contribution de ton aîné au festin dans la classe. Tu ne penses même plus à grogner que le système devrait prévoir une bonne fois pour toutes de nourrir tes gosses pendant les heures scolaires. Non, là, tu es concentrée pour être la première à ouvrir le document et inscrire le nom de ton fils en face du pot de Cottage (et non pas du plateau de légumes qui restera invariablement en dernier choix comme punition pour le parent trop lent). C’est comme ça en Israël, la pression devant Google Docs est la même qu’aux feux rouges. Tout est dans la réactivité.
Mais cette année c’est la ganenet de ton deuxième fils qui remporte le prix de l’épuisement parental avec son idée de repas déguisé pour le jour de Pourim. Des fruits, des légumes et des sandwiches déguisés pour faire plaisir aux enfants. Avec quelques images pour l’inspiration : Oeufs Caliméro, légumes en locomotives et petits pains hérisson. Très mignon. Sauf que c’est à toi de les préparer, te confirme ta troisième relecture du mail. Tu tentes d’initier une rébellion collective sur le groupe whatsapp du gan. Vous avez vu le mail avec les photos de nourriture déguisée ??? Tu reçois en réponse l’avis unanime des autres parents: Ken ze maksssssim !!! (Oui c’est super !!!).
Tu oublies ta révolte et tu ravales ta culpabilité pour rentrer en cuisine toi aussi. De toute façon, au point où tu en es, tu as déjà tous les michlohey manot à préparer. Pour tes collègues, tes voisins et les copains de tes enfants. Et pour le jeu du gamad et anak de ton yichouv aussi.
Au milieu des bonnes odeurs de gâteaux et des déguisements éparpillés dans la maison, tu repenses à tes derniers Pourim à Paris, avant l’Alyah. Quand tu ne savais que c’était fête que grâce à une note dans ton agenda, et que tu gardais cette information près de ton cœur, comme un secret. Tu sortais un peu plus tôt de ton cabinet d’avocats pour aller écouter la Meguila, au premier étage de la Synagogue de la Victoire. Un peu de temps volé pour te connecter à ton identité profonde le temps d’une lecture. Tu souriais en voyant les enfants déguisés et la joie de tous. Puis tu reprenais le chemin de ta vie parisienne. Ni vu, ni connu.
Mon Dieu comme tu ne regrettes rien. Car en Israël, au-delà des multiples sollicitations et du mini burn-out associé, c’est bien la joie qui se répand dans les cœurs pendant Pourim. Et cette joie est collective, extérieure. Elle prend sa place et s’étale même. On va se déguiser, on va rire, on va chanter, on va donner aux démunis et réjouir ses amis. On va vivre encore plus fort que d’habitude.
Il était une fois, il y a bien longtemps, en Perse, un homme qui s’appelait Aman et qui voulait exterminer le peuple Juif. Regarde, Aman, de ce côté de la Méditerranée, pour bien comprendre à quel point tu as échoué.
Hag Pourim Sameah !