Journal de guerre – Jour 32 – L’esprit d’Israël

Ils sont encore là-bas. J’ai repêché dans mon téléphone une vidéo sur laquelle on voit Naveh il y a 3 ans à la fête de fin de gan. Dans une petite forêt de Galilée. Une fête pleine de sens et de beauté, comme les israéliens savent les organiser. Chaque enfant avait préparé pour ses parents une lettre avec des mots de remerciement et d’amour. J’ai zoomé sur lui et je l’ai vu courir vers les siens pour leur offrir la petite carte qu’il avait écrite, j’ai revu les câlins, l’émotion et la musique. Et je me suis dit qu’on vivait au paradis sans le savoir. Ils sont tous otages à Gaza aujourd’hui. Naveh, sa petite soeur, ses parents et sa grand-mère.

Je mets cette pensée de côté.

Je mets beaucoup de pensées de côté ces derniers temps, pour me protéger. Comprenez, ici, tout fait plus mal. Les annonces de soldats tombés au front transpercent l’âme. Parce que les soldats en Israël ce sont les frères, les enfants, les conjoints et les voisins. 

Les avions grondent toute la journée et les missiles pleuvent. Le choc du 7 octobre ne passe pas, et de nouvelles histoires glaçantes continuent d’alimenter le traumatisme.

A l’extérieur, c’est la consternation ébahie. Les manifestations, la violence, l’incompréhension. L’antisémitisme qui se déploie comme une pieuvre, n’épargnant aucun pays. 

Israël présentée comme un pays agressif et sans pitié, amoral. C’est ce renversement permanent de la vérité qui est difficile à comprendre. Le souffle qui manque pour expliquer. Et la déception, encore. Le constat que les grands principes d’humanité ne s’appliquent pas aux israéliens. Où sont les mouvements féministes pour condamner les horreurs faites aux femmes israéliennes? Où sont les organisations internationales pour s’inquiéter du sort de nos 243 otages israéliens, dont des enfants et des vieillards? Est ce qu’on leur apporte leurs médicaments aux malades? Leurs biberons aux bébés? Qui s’inquiète d’eux à part nous? Ca me rappelle mes années d’avocate à Paris, quand j’avais compris, consternée, que le Barreau de Paris avait chassé ses avocats juifs pendant la seconde guerre mondiale. Qu’il n’avait pas protesté. Le Barreau de Paris. Le gardien du Droit. Les grands principes, oui, mais pas pour tous.

On avait dit plus jamais.

A l’extérieur, je frémis.

Alors je switche pour regarder de l’intérieur mon pays bien aimé qui se démène pour rester debout malgré la douleur. Je vois mon peuple réveillé, debout comme un seul homme, pansant au fur et à mesure ses plaies en mettant du sens partout. C’est ce qu’on sait faire ici. Transcender. Les initiatives pleuvent, on ne sait plus où donner de la tête. Les aides et le bénévolat à chaque coin de rue. Les cœurs qui s’ouvrent et qui parlent enfin de l’essentiel. Chacun met ses compétences à disposition de la communauté. C’est tellement beau. La routine fragile a repris. Les enfants vont à l’école. Les employeurs demandent de revenir physiquement au travail. Les professionnels expliquent inlassablement quels outils mettre en place pour rester debout. Les pubs à la radio sont remplacées par des conseils de résilience et des consignes de sécurité, rabâchées sans relâche. Parce qu’ici on protège la Vie. Toujours. Tout en gardant la mémoire des morts. J’écris ce texte en revenant d’une cérémonie de souvenir, celle des 1 mois après le 7 octobre, que chaque ville, chaque village, a célébré ce soir. 

C’est ce qui nous fait tenir pendant cette période douloureuse. L’esprit d’Israël. Le petit suplément d’âme qui aide à tenir pendant que le coeur pleure, que les avions grondent et que les missiles pleuvent.

Je pense plus que jamais à mes amis, à ma famille, à tous ceux qui ont aussi arrêté de respirer le 7 octobre. A eux qui vivent loin et qui s’inquiètent tant pour nous. Nous nous inquiétons pour vous. Ca doit être dur de vivre ces moments en étant loin d’ici.

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