Journal de guerre – jour 218 – le jour du souvenir

Ce soir a commencé Yom Hazikaron, le jour du souvenir de tous ceux tombés pour que le peuple d’Israël puisse continuer à vivre sur sa Terre. Les soldats et les victimes du terrorisme. 

La sirène retentit à 20:00 précise dans tout le pays et tout s’arrête. Puis les cérémonies commencent. Ce qui les caractérise, année après année, c’est ce silence étouffé de larmes, un silence épais, qui remplace les applaudissements après les textes et les chansons. On se tient tous là, les uns contre les autres, recueillis, ensemble. Cette année évidemment tout est plus douloureux. On finit comme toujours par l’Hatikva, l’hymne israélien:

Tant que dans nos coeurs

Vibre l’âme juive

Tournée vers l’orient, en avant

Le regard vers Sion

Notre espoir n’est pas encore perdu

Un espoir âgé de deux mille ans

D’être un peuple libre sur notre terre

La terre de Sion et de Jérusalem

Le chant de l’Hatikva me remue toujours, mais ce qui m’a le plus émue ce soir, c’est quand on a chanté le Psaume 121, le Cantique des Degrés. Parce que ceux qui se tenaient à mes côtés, ce soir, sont des fervents laïcs, beaucoup d’entre eux manifestent chaque semaine, mais c’est d’une seule voix qu’on a tous chanté:

Je lève mes yeux vers les montagnes…

D’où me viendra le secours ?

Le secours me vient de l’Éternel,

Qui a fait les cieux et la terre.

Il ne permettra point que ton pied chancelle;

Celui qui te garde ne sommeillera pas.

Voici, il ne sommeille ni ne dort,

Le gardien d’Israël.

L’Éternel est celui qui te garde,

L’Éternel est ton ombre, à ta main droite.

Pendant le jour, le soleil ne te frappera point,

Ni la lune pendant la nuit.

L’Éternel te gardera de tout mal,

Il gardera ton âme.

L’Éternel gardera ton départ et ton arrivée,

Dès maintenant et à jamais.

Ce soir, un pays entier se souvient et se recueille.

Comme on s’est souvenu de la sortie d’Egypte à Pessah et de la Shoah la semaine dernière.

C’est aussi ça qui nous tient debout, malgré les dysfonctionnements à l’intérieur et les vagues de haine à l’extérieur, malgré les douleurs et les doutes. Car rien ne pourra faire tomber un peuple qui se souvient de cette manière. 

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Journal de guerre – jour 108

Journée noire. Encore une. La rivière est bouchée par des pavés, on ne l’entend plus.

Le brouillard est descendu. Il est partout.

Et je me sens illégitime à écrire ma tristesse, parce qu’elle est presque confortable. J’y pense, et puis je n’y pense plus. Je peux me le permettre.

Ca me rappelle cette alerte du mois d’octobre, quand dans mon yichouv on pensait que les villages du coin allaient nous monter dessus littéralement, quand on nous a demandé de rentrer dans les abris et d’éteindre les lumières et qu’une voisine a écrit dans le whatsapp de la sécurité qu’une assiette était tombée dans sa cuisine, alors que les chats étaient dehors, cette peur au ventre que le monde s’écroule sur moi, sur nous, recroquevillés dans notre abri sans porte, inutile, cette peur de mourir, qui était si indifférente à la solidarité, une peur solitaire, insensible à l’empathie, comme peut être le deuil des familles vraiment touchées dans leur chair, ces visages tous plus beaux les uns que les autres qui ne sont qu’une photo pour moi mais qui appartiennent vraiment à des mères, à des pères, à des fiancées et à des enfants.

Ma journée est noire mais mon aîné n’a que 14 ans.

Que leurs mémoires soient bénies.

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Journal de guerre – Jour 104

La vie continue presque normalement mais la guerre est partout. 

Ce soir je suis allée m’asseoir dans le petit pub sauvage de mon yichouv.

C’est un endroit un peu magique, installé dans une forêt entre les pins, une sorte de container transformé en petit café, avec des guirlandes de lumière, une cuisine improvisée et un billard.

On s’y sent bien. Il y a de la musique, des bières, beaucoup de fumée et des discussions à n’en plus finir. J’y croise les gens dont je suis proche au quotidien et aussi les autres, avec lesquels un lien se crée de jeudi en jeudi, autour d’une partie de billard ou d’un échange. 

Depuis 3 mois, les discussions ne tournent qu’autour de ça. La guerre.

Beaucoup de mes voisins sont au front. Les papas des copains des enfants, les maris de mes amies. Les réservistes libérés pour le week end viennent le temps d’une soirée se reconnecter avec la communauté et sont accueillis avec des acclamations. On se prend dans les bras. On se tape sur l’épaule.

Quelque chose a changé dans l’espace temps. Le mois d’octobre est là, encore, en janvier. Et tout ce qui se passe depuis. L’avenir incertain. Demain et dans un an. Dans trois mois et dans dix ans. Les discussions sont plus profondes, on parle d’identité et d’appartenance et de survie. 

Ils parlent et j’écoute. 

C’est ma première guerre. 

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