La valse franco-israélienne

Ces derniers temps quand on se croise, tu me parles de la dernière publicité de Yes qui te fait beaucoup rire. Je te demande en français ‘laquelle? Douze méduses?” et tu ris de plus belle, reconnaissant. Ca me crispe un peu mais ce n’est pas grave, je suis habituée à ce que tu fasses d’une manière ou d’une autre allusion à mes origines, la première fois que l’on se rencontre: Parfois tu me cases un petit « Como ça va ? », auquel je réponds en marmonnant « ça va bien » (je finirai un jour  par te répondre « ça roule ma poule » juste pour voir ta tête),  et souvent tu me parles directement de ton amour pour Paris. Bien que ces dernières années, de ton rivage de la Méditerranée, tu pressens bien que ce n’est plus ce que c’était. Arbe Antichémioute cham nah’on ?

Toi et moi, on est comme ces couples qui tiennent la route sans que rien ne soit évident. On fonctionne tant bien que mal malgré nos différences, grâce à un je ne sais quoi qui nous tient bien attachés l’un à l’autre.

Et pourtant, ce n’était pas gagné.

Au premier regard je t’ai trouvé très beau, mais trop direct, et tellement décontracté ! De ton côté je crois que tu as été déstabilisé par mon côté poli, limite coincé…

Mais puisque c’est moi qui venais jouer sur ton terrain, je me suis adaptée.

Je me suis imprégnée de ton stress, de ta nonchalance et de ton impatience à vivre. Et tu as réussi à me changer ! J’ai laissé de côté mes bonnes manières pour devenir pragmatique, comme toi. Oui, j’ai fait voler en éclat mes réflexes d’européenne et je suis devenue celle qui demande avec nonchalance, en rejoignant une file d’attente : « qui est le dernier ? » et qui ajoute avec aplomb « Je suis après toi ! ». Est-ce que tu sais qu’avant toi j’étais la plus normale des parisiennes ?

Mais sache que si j’accepte et que je m’adapte, c’est parce que j’ai découvert assez rapidement qu’au-delà des clichés, tu faisais bien souvent preuve de tact et de gentillesse là où je m’y attendais le moins. Figure-toi que je te trouve même particulièrement respectueux de l’être humain et du monde qui t’entoure.

C’est comme pour l’éducation de tes enfants, sur ce sujet aussi j’avais beaucoup de préjugés. En un mot je te trouvais laxiste. Aujourd’hui je vois l’envers du décor, j’admire ta patience, tes encouragements et ta tendresse à toute épreuve, et je peux te dire que tu m’inspires sur bien des sujets. Même si toi aussi tu commences à tendre l’oreille sur certaines des idées que je te souffle avec de plus en plus d’insistance (cantine, école toute la journée, cantine, école toute la journée, cantine, école toute la journée ….).

Evidemment tout n’est pas rose entre nous et nombreuses sont les fois où l’on se retrouve en décalage.

Tu t’étonnes que j’aie lâché Paris pour te rejoindre. Tu ne comprends pas très bien d’où je sors mes idées old school sur Israël. Toi tu es né dedans et tout te semble couler de source. Tu te permets même d’être cynique.  Tu oublies un peu vite à mon goût et j’ai souvent envie de te secouer pour te dire de m’écouter. Qu’on peut se compléter toi et moi. Que je peux t’apporter la petite dose d’idéal qui te manque, rallumer dans tes yeux ce qui brulait sûrement dans ceux de tes grands parents. Parce que moi je sais ce que c’est de vivre sans ici.

Et puis ce que tu peux me fatiguer avec tes petites cases !  Je voudrais te libérer de ces classements qui coincent aux entournures. Parce que mon regard est différent du tien. Il comprend à quel point on a tous besoin les uns des autres.

Ah et aussi, sans vouloir te vexer, laisses-moi te montrer comment faire des grèves et une révolution. Tu te laisses trop faire, tu as tendance à agir comme un mouton !

Mais bon soyons clairs, et ne renversons pas les rôles. C’est moi qui suis venue te chercher et qui ne veux plus te quitter

Car tu le sais bien, même si je ne te comprends pas toujours, tu m’épates! Ta liberté, ta confiance dans ce que tu es, ton identité tranquille, ce que tu as réussi à faire du Pays en si peu de temps. Et puis tes valeurs, qui surgissent à tout moment.  D’où que tu viennes, quel que soit ton niveau, très souvent tu me touches en plein cœur.

Et tu sais quoi? Je vois bien que tu m’aimes bien toi aussi, que tu m’encourages sans cesse, et que tu es content que j’aie laissé le vieux continent pour te rejoindre dans l’aventure. Tu acceptes volontiers de me faire une place ici, avec un sourire mi-curieux mi-amusé.

Finalement, toi et moi, au fil des années on a trouvé la recette qui marche: On réussit à dépasser l’agacement et les différences  grâce à une dose d’admiration mutuelle et d’un bon nombre de valeurs malgré tout communes. Et puis peut être que l’on sait tous les deux au fond de notre âme qu’Israël, aujourd’hui, c’est nous, ensemble.

Alors on tâtonne et on trébuche, mais on persiste et je crois qu’on y arrive de plus en plus souvent: On danse ensemble, presque en harmonie, la valse franco-israélienne.

 

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