La société israélienne est bouillonnante et diversifiée, c’est un fait. Ca a toujours été comme ça. Ca convient bien au climat du Moyen Orient. Sauf qu’en y ajoutant le covid, les confinements à répétition et les incertitudes, on est tous légèrement sur les nerfs.
En arrivant ici, il y a 14 ans, tu te disais souvent: Tiens c’est marrant, en tant que français immigrants ici, on a comme un pouvoir magique, on sait généralement faire le pont entre les composantes de la société. On connaît les codes des différents côtés. Et tu ne saisissais pas toujours les ressentiments et les fissures. Avec le temps tu comprends mieux. Mais tu refuses toujours de rentrer dans une case.
A la place, tu t’imagines faire le tour du pays, en interpellant les israéliens, de Bnei Brak à Balfour, pour leur chuchoter:
Quand tu as déménagé de Tel Aviv en Galilée, tu étais loin de t’imaginer que tu arrivais dans un endroit h’iloni pur et dur. Ca t’a même pris quelques années pour le comprendre.
A ta décharge, ça prête vraiment à confusion pour qui n’est pas né ici. Toutes les fêtes y sont célébrées. On y plante des arbres à Tu Bishvat, on s’y habille en blanc à Shavuot, on y mange des beignets à la lumières des bougies à Hanukka. Les gens y sont extraordinaires, respectueux, éduqués, solidaires. Les femmes qui accouchent y reçoivent des repas cuisinés par les voisins pendant un mois. Les familles qui traversent une épreuve y sont soutenues discrètement par la communauté.
Corona I. C’est fou, c’est bizarre, c’est nouveau. L’humour bat son plein sur les groupes WhatsApp et sur les réseaux sociaux, on est tous dans le même bateau, ça va aller. Même si ça ressemble à la quatrième dimension. Tu fais des selfies avec ton masque. Tu te dis que le monde avait besoin d’une pause. Que quelque chose de bien en sortira, au final. Tu connais quelqu’un qui connait quelqu’un qui l’a eu. Waou.
Corona II. C’est chiant. Ca ne fait plus rire personne. Tu te dis que beaucoup de mauvaises choses en sortiront. Tu connais encore quelques rares personnes qui n’ont pas été en contact avec un malade. Waou.
La situation d’Israël dans le monde
Corona I. Sans vouloir trop la ramener, Israël assure. Maîtrise. Réagit vite. Contient le virus de manière exemplaire. Tu es fière. Tu te sens en sécurité et tu suis les instructions sans broncher. L’Etat s’occupe de tout.
Corona II. Israël est devenu le pays champion du monde du nombre de contaminations par habitant et le premier à se reconfiner. Aie, ça fait mal. Est ce que c’est parce qu’on a un mois ou deux d’avance sur les autres pays? Tu ne sais pas, en fait, personne ne sait. Tu ne comprends pas la logique des instructions, les capsules, les couleurs. Tu n’aimerais pas être celle qui doit gérer ça. C’est le bordel.
L’annonce du confinement
Corona I. Incroyable, on va rester enfermé à la maison pendant deux mois. C’est fou. L’effet de surprise et le sentiment d’urgence décuplent tes énergies. Ca va aller. Tu vas gérer, le travail, les enfants, le rythme intensif, tu vas réussir, et même tu en sortiras grandie et renforcée.
Corona II. Tu te répètes juste en boucle les dents serrées: ça ne va pas être possible.
Le Confinement
Corona I. Tu travailles de la maison comme une acharnée, tu gères les zoom des enfants, les repas, le bien être approximatif de tous les membre de la tribu. Tu es approvisionnée en matériel pour leurs créations. Tu penses Développement personnel. Tu penses Cocon familial. Tu fais du pilates sur zoom. Certains jours sont difficiles mais généralement tu te couches avec le sentiment d’être une héroïne et de gérer l’impossible.
Corona II (préparation du confinement). Tu te répètes en boucle les dents serrées: ça ne pas être possible (bis). La perspective de l’enfant débarquant en criant en pleine réunion zoom te donne des sueurs froides. La perspective de redevenir cette maman qui répète toute la journée – CHUT je travaille là! te donne des sueurs froides. Ton objectif ultime: garder ton boulot tout en limitant la casse à la maison. Le reste, tu n’auras pas le temps ni l’énergie.
L’espoir
Corona I. On est plus intelligent que ce virus, on va le mater et quand on sortira il aura disparu. Le monde sera meilleur après, on travaillera de la maison, on arrêtera de courir dans tous les sens. Chacun trouvera sa vraie place, sur le plan professionnel et personnel.
Corona II. Le virus va nous mater comme la dernière fois, quand on sortira il sera encore là et ça recommencera. L’économie va en prendre un coup, les personnes âgées vont en prendre un coup, les enfants vont en prendre un coup, ça ne va pas aller du tout.
Conclusion. Mieux vaut ne pas en tirer une tout de suite. Vivement le futur rassurant et enveloppant, les retrouvailles, les festivals, les concerts et les embrassades. Heureusement, Rosh Hashana est là, juste au coin, et te force à mettre un peu lumière dans tes pensées, à prier pour la santé de tes proches, finalement, quoi de plus important? et à croire très fort que le virus finira par disparaître comme il était venu, plouf, et qu’on reprendra une vie vraiment meilleure que celle d’avant.