Un virus et des hommes

Ca, même avec l’imagination la plus débordante, tu n’aurais pas pu l’envisager. Le monde entier confiné dans sa maison. A cause d’un virus. Comme dans un bon film de science fiction. Avec les déclarations quotidiennes des chefs d’état inquiets. Sauf que le scénario n’est pas clair. Pas de casting de star qui va sauver l’humanité. On sait juste que les hommes pressés ont été invitée à rentrer à la maison. Et à y rester. Les premiers jours, les enfants sont en joie, pas d’école, on peut encore sortir, voir les copains. Comme des vacances avant l’heure. Toi tu te réjouis d’avoir enfin plus de temps. Et puis très vite, plus de copains. Plus de grands parents. Chaque cellule se referme sur elle-même. Seul, à deux, ou en famille. Et avec l’extérieur, ce sera par écran interposé. Tu as des frissons désagréables lors du premier zoom avec la maîtresse de ton fils, qui a rassemblé les élèves pour leur dire qu’elle les aime et qu’elle espère les revoir très vite. C’est inédit, c’est étrange. Un virus ralentit les hommes et les isole. Au jour 7 du confinement, impossible de savoir avec certitude si ça va s’arrêter bientôt, grâce à un médicament ou à un vaccin, ou si on est parti pour une nouvelle ère. Tu penses aux personnes fragiles et isolées. Au personnel hospitalier. Aux plus anciens en danger. A ceux qui étaient déjà en difficulté avant de perdre leur emploi. Et tu penses en même temps que la course folle de ces dernières années devait s’arrêter d’une manière ou d’une autre. Tu ne sais pas grand-chose, en fait, comme tout le monde, tu attends.

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Les h’ilonim sont des juifs comme les autres

Voilà le sujet sur lequel tu as le plus de mal à écrire, alors même qu’il est le plus brûlant pour toi. Jusqu’au jour où ton fils te demande un matin: ” Maman, n’est-ce-pas que Aba (papa) n’est pas juif?”

Tu manques de t’étrangler avec ton café. L’histoire de la famille du père de tes enfants défile à toute vitesse dans ton esprit: la Pologne des années 30, le sauvetage in extremis des plus jeunes, envoyés en Israël avant la Shoah, les familles restées sur place décimées, la construction du pays, le sionisme, les grandes idées, le socialisme de l’époque. Puis une, deux, et trois générations d’israéliens.

Bien sûr que si Aba est juif, qu’est ce qui te fait penser le contraire?

Bah il dit lui-même qu’il est h’iloni.

Les revoilà donc, ces petites cases avec lesquelles tu as tellement de mal à composer. Sauf que là, tu sens plus que jamais le bilboul (l’embrouille). Et à nouveau, tu te dis que quelque chose ne tourne pas complètement rond ici.

Tu te revois à l’enterrement de ton beau-père, écoutant le Kadish récité par ses fils h’ilonim enlacés sur la tombe. A sa Shiva, aux Shivot de tous ces h’ilonim qui perdent des êtres chers.

Aux circoncisions des enfants de h’ilonim, aux h’ilonim qui plantent des arbres à Tou Bishvat, qui se déguisent et qui envoient des mishlohi manot à Pourim, qui sortent d’Egypte en grandes pompes à Pessah, aux petits h’ilonim qui reçoivent la Torah et commencent à l’étudier en Kita Beth, aux discours de h’ilonim sur le renouvellement à Rosh Hashana, à cette connexion spirituelle qui se manifeste tout au long de l’année, même si c’est en dehors des synagogues.

Tu repenses à ton voisin h’iloni, et à ses amis h’ilonim, qui ont organisé sur deux ans un tyoul de la Galilee vers Jérusalem par petits bouts, pour y arriver l’année de bar mitsva de leurs fils.

A cette culture de l’étude. Partout, tout le temps, à n’importe quel âge.

Aux gens qui t’entourent, et qui vivent leur judaisme avec beaucoup de sens et de profondeur le plus souvent, mais qu’on oppose implacablement aux religieux. Hilonim versus Datim. Datim versus Hilonim.

C’est instantané, c’est confortable, on peut cerner une personne en un mot et comprendre dans les grandes lignes son mode de vie. Et puis c’est comme ça donc on s’adapte, on se rentre dans une case ou dans l’autre, même si ça coince un peu. Parce qu’au final, chacun peut trouver l’environnement qui lui convient le mieux et composer. Mais est-ce vraiment juste et précis? L’essence même du judaïsme n’est elle pas le libre arbitre? L’évolution incessante, dans un sens ou dans l’autre? La vie consacrée au tikoun, à la réparation, chacun à son niveau?

C’est pourquoi toi, tu ne l’aimes pas ce mot, h’iloni. Pas plus que tu n’aimes celui de dati. Ces mots limitent, enferment, et séparent ce(ux) qui devrai(en)t être uni(s). Et sont exploités à outrance. Tu leur préfères le mot tout simple et si complexe de juif.

Alors tu réponds à ton fils que le h’iloni est un juif comme un autre, et que ça ne veut strictement rien dire. Et que s’il a un doute, qu’il aille directement interroger son père, juste pour voir sa tête.

Quant à toi, la laïque religieuse, la juive qui refuse d’être enfermée dans une case, tu te demandes s’il est réaliste d’espérer que les israéliens se détachent de ce cloisonnement pour se rassembler dans le respect du chemin de chacun. Sans avoir besoin d’une menace extérieure. Ou si tu devras te contenter, en temps de paix, de te trouver une petite case avec des gens qui pensent comme toi.

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Le cœur au Sud

Aux habitants de Saad, Nahal Oz, Shuva, Kerem Shalom, Zikim, Nir Am, et de tous les autres yichouvim et kiboutzim dont je découvre les noms au rythme des évènements.

A vous qui depuis si longtemps encaissez pour nous tous.

A vous qu’on ne consulte pas et à qui on ne promet rien.

A vous dont le quotidien en période calme semble idyllique. La vie en communauté aux portes du désert. Sauf que c’est rarement calme. Et qu’on s’est habitué, de loin. C’est comme ça.

Tseva adom Shaar HaNegev. Tseva Adom Eshkol. Tseva Adom Otef Azza.  En boucle. Toute la journée. La routine. Voyons comment ça évolue.

Alerte à Tel-Aviv. Oh oh! Le monde retient son souffle. Moi la première. C’est si injuste…

A vous qui vivez ces journées infernales qu’on suit de loin.

A vos enfants, à vos anciens, à vos voisins.

Si vous saviez comme vous êtes impressionnants, quand vous nous racontez à la radio, sans colère, en concluant Ça va aller. La vie continue.

Vous êtes nos anges et nos héros.

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